DU FOND DES ESPELUQUES

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1834 un touriste à Dions

Publié par Espéluques sur 10 Décembre 2013, 17:45pm

Catégories : #Dions espeluques buissieres fougeras

« Pour rejoindre le village de Dions, il faut rebrousser chemin et suivre un sentier qui se dirige vers le nord-est; à peu de distance on remarque un terrain singulièrement sillonné par les eaux et d'une couleur éclatante, le rouge y domine. En visitant de près ces ravins, on remarque que les pentes en sont formées de sable rouge, jaune, fauve, gris, blanc pur. On y rencontre des blocs de grès singulièrement irisés, et des fragments arrondis de fer hématite, on y trouve aussi quelques jaspes et de beaux silex; ce lieu mériterait la visite des géologues.

Dions est un beau village de 800 âmes environ, situé sur les bords du Gardon et dans le canton de St-Chaptes. On ne manque pas de conduire le voyageur aux Boissieres ou, mieux, Buissières. Il faut traverser la cour du vieux manoir délabré de la famille Trinquelague, avant de descendre dans le parc; on contemple un moment la belle vue dont on jouit de la terrasse du château; c'est le cours du Gardon, les Vigères, la Tour, St Chaptes, les Cévennes , le mont Bouquet. Les Buissières s'étendent sur le flanc de la colline dans la direction de la Calmette, qui n'en est éloignée que d'une demi-lieue; c'est un parc où l'art pour cette fois a fait peu de frais. La main de l'homme ne se montre guère que dans la plantation d'une allée de buis. Depuis longtemps abandonnée à elle-même, elle est devenue un des objets les plus remarquables de la contrée, par la dimension extraordinaire de ces arbustes, que nous ne connaissons guère que sous leurs formes écourtées dans l'encaissement des plates-bandes de nos jardins. Ici ils le disputent aux arbres de haute futaie, et se recourbent avec grâce en forme d'arceau. Ce lieu est remarquable, mais il n'offre aucun sujet pour la peinture, et celui qui cultive cet art doit poursuivre sa course, dépasser cette avenue, pénétrer dans le bois ombragé des plus beaux arbres. Ici la mousse et le lierre s'emparent des troncs antiques des chênes, ça et là les branches s'écartent, et laissent reposer la vue au loin sur l'horizon des montagnes; on foule aux pieds les fraises sauvages qui se cachent sous un tapis de la plus riche verdure.

C'est une retraite solitaire et délicieuse, et je pardonne au citadin de Nismes, si longtemps resserré entre des murs de pierres grises, de considérer les Boissières comme le lieu le plus charmant de la terre, mais ce que je ne lui pardonne pas c'est d'oublier, presque toujours, dans le voyage de famille qu'il fait à Dions, de visiter les Espéluques (Spélunca); je ne lui demande qu'une heure et une bien petite dose de courage et de patience. Traversons le village; il faut gravir une colline peu élevée à l'est; un enfant du village nous sert de guide; il nous mène par des sentiers tortueux sur un plateau couvert de vignes et de cailloux roulés; la vue se porte sur cette plaine sans y rien rencontrer encore qui mérite l'intérêt; encore quelques pas, et nous nous trouvons au bord d'un gouffre immense. Il faut quelque temps de réflexion pour en comprendre la singulière configuration. Les termes vont nous manquer pour le dépeindre, et je n'ai pas ici la ressource du crayon, car cet effet magique est impossible à rendre. Que dirai-je donc ? Un gouffre en entonnoir; les Arènes de Nismes en creux dans la terre, au lieu de s'élever sur sa surface, deux fois plus profondes, plus ovales, irrégulières, déchirées par des ravins, interrompues par des anfractuosités, masquées par des touffes de la plus riche verdure; on n'est encore qu'au bord du gouffre et l'on ne peut en apprécier les vastes dimensions; ses ténébreuses cavités se dérobent à l'oeil; pour le contempler dans toute sa grandeur il faut descendre dans ce vaste réceptacle; on avance lentement et avec prudence; le sentier est rapide, ici glissant, là brusquement interrompu par des cavités incommensurables; tantôt il faut se confier aux herbes et aux ronces, tantôt profiter de quelques pas creusés sur des pentes rapides. On se trouve bientôt sous un dais immense qui se recourbe en cintre. Il recèle à sa base une autre caverne qui, du haut de la colline, n'apparaissait que comme une tache insignifiante, mais, de près, s'élève grande et majestueuse, triste demeure du silence et des ténèbres. Souvent ce dernier réceptacle est envahi par les eaux qui filtrent à travers les fissures, et laissent sur ses parois de longues stalagmites; mais, dans la saison chaude, on peut en parcourir toute l'étendue, même sans flambeau. L'oeil s'accoutume à ce demi-jour et se plaît à admirer les riches teintes de vert et de pourpre qui décorent les flancs de cette magnifique caverne. Je prie le lecteur de croire que je n'ai point voulu ici annoncer ou décrire une grotte ordinaire, comme toutes les montagnes calcaires en recèlent ; celle-ci a un caractère particulier que je n'ai retrouvé nulle autre part, et je prie les habitants de Dions d'être fiers d'avoir une telle curiosité dans leurs environs. »

Tableau pittoresque, scientifique et moral de Nismes et de ses environs – Emilien Frossard - 1834

1834 un touriste à Dions
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